Carte
Portiragnes
Hérault
Témoignage de Monsieur Raymond Delmas, de sa fille, Madame Rouzaud et d'autres témoins de Portiragnes
Son grand-père, qui lui-même le tenait de son grand-père, disait:
Vois-tu, mon fils, tous les espaces qui sont situés après le canal, à partir du pont de Portiragnes, dans le temps, c'étaient des salants qui s'étendaient à perte de vue, jusqu'à la mer. La terre y était inculte, car salée, couverte de salicornes, de saladelles et de toutes de "sansouilles", simples maritimes en patois. Elle n'était que prairie pour troupeaux. A cette époque, il y avait des porcs et quatre troupeaux de moutons d'importance au village, lâchés en liberté dans ce vaste espace.
Il faut te dire que l'étang de la Maïre n'était pas comme tu le vois aujourd'hui. Il était ouvert sur la mer, son eau était plus salée que celle de la grande Bleue, et il pullulait de vives piquantes et cruelles.
En conséquence le village porte aujourd'hui les traces de ce passé, par "Port", refuge des bateaux et « iragnes » (vives en patois) dont il était infesté.
Mon grand Père disait aussi que par gros temps, les voiliers qui croisaient au large, remontant de Gibraltar, chargés de marchandises venaient se mettre à l'abri en ses eaux, en attendant le calme.
L'arrivée du Canal a été un grand bien pour Portiragnes. Plus tard, les prises d'eau ont permis d'irriguer les vastes salants avec les eaux bienfaisantes et douces de la Montagne Noire, et au fil des ans, le dessalage s'est progressivement effectué par voies naturelles.
Vers la moitié du siècle dernier, certains ont commencé à planter de la vigne, alors que sur les coteaux du côté de Roque-Haute, "Raucaute" en patois par-delà le cimetière, les oliviers donnaient bien.
Malheureusement, l'hiver de 1853 leur a été fatal, le gel les a presque totalement détruits. C'est vers 1880, que toute la Lande a été plantée de vignes.
A la fin du dernier siècle, la vigne faisait vivre le pays, au détriment de l'élevage de moutons. Ces sales bêtes "bouffaient" tout, et nous nous sommes battus pour les chasser, notamment celles des troupeaux espagnols, qui venaient transhumer par chez nous.
En 1907, il y eut la révolte des viticulteurs, manifestation d'importance à Narbonne, contre les vins d'Algérie.
Tous ceux de Portiragnes y étaient.
La vinification ne donnait pas de bon vin, aussi Monsieur Delmas se souvient très bien du temps où on a commencé à arracher les vignes. Elles ont été en partie remplacées par les rizières après la dernière guerre, surtout sur "La Palus" au lieu-dit de "Prat Naou". On s'est servi de l'eau de mer dessalée pour irriguer les rizières.
Un jour: le drame!
Une vannes a "craqué" et toutes ces terres ont été inondées par l'eau salée.
Bien des vignes qui restaient, ont du être arrachées, brûlées qu'elles étaient par le sel. Pour protéger cette terre des crues de l'Orb, il a été construit une digue de Sérignan à la Rivièrette.
C'est vers les années 60 que la nature sauvage a repris petit à petit ses droits. Beaucoup n'ont pas replanté la vigne, la culture du riz a été arrêtée, les roseaux, les saladelles et salicoques se sont à nouveau installés.
Aujourd'hui, c'est le domaine des taureaux et des chevaux qui paissent et gambadent librement sur ces vastes salants, en compagnie des aigrettes, des cols-verts, des flamands rose, et toutes sortes d'oiseaux aquatiques.
Voici ce que nous a confié monsieur Raymond Delmas et sa fille madame Rouzaud, lors d'une table des éveilleurs de mémoire à Portiragnes en 1997.